Comment concilier couple et besoin de liberté ? Pourquoi est-il de plus en plus difficile de se réaliser à deux ? L’individualisme et la fusion peuvent-ils faire bon ménage ? Comment se réaliser soi-même en vivant en duo ? Comment parvenir à un bon équilibre ? Nos exigences, notre quête de perfection, notre intolérance à la frustration, notre désir d’indépendance et d’autonomie entravent-ils la vie à deux ?
Notre société voue un tel culte à l’individualisme qu’elle en perd tout sens de la mesure et toute sagesse. Pour beaucoup, toute frustration est devenue invivable, toute attente, insupportable. Il nous faut, tout, tout de suite, et si possible sans effort. On ne laisse ni la chance au temps de faire son œuvre, ni à l’autre celle de pouvoir évoluer.
Cet égocentrisme exacerbé fait qu’au lieu de ressentir le couple sur le mode du « nous », ce qui prévaut c’est « moi, d’abord », et tant mieux s’il en reste pour l’autre, mais il est bien entendu que la plus belle part de gâteau est pour moi ! Si je ne trouve pas dans le couple ce que je veux, ce que j’attends, si l’autre ne répond pas exactement à ce que j’en attends, je pars, je casse le couple. Un peu comme l’enfant, dépité de constater que sa voiture ne va pas dans la direction qu’il lui avait donnée (une lame du parquet l’a déroutée), la jette, fou de colère contre le mur. Et la casse. Maintenant on fait un couple et on le défait sur un coup de tête : la génération kleenex jette quand ça ne convient pas. C’est dire que l’introspection spontanée, l’honnête remise en question, sont reléguées dans le grenier des objets désuets et inutiles.
Si ça ne va pas, ce ne peut – être que la faute de l’autre (il ne répond pas à ce que j’attendais de lui) ou d’une incompatibilité de caractère. Il arrive, bien sûr, que l’on soit réellement dans ce cas de figure, mais je pense que ce n’est pas aussi fréquent qu’on voudrait nous le faire croire. Cette attitude, hélas, fait boule de neige et a un effet doublement pervers : d’abord faire croire que le couple dans lequel on apporte tout à l‘autre, existe ; puis de provoquer des ruptures qui n’avaient peut-être pas lieu d’être. Mais, il est impossible de porter un jugement sur cette tendance, car tout nous y pousse : les journaux, les films, les romans font l’apologie de l’égoïsme. Bien, il ne serait pas correct d’inciter à être égoïste. Aussi préfère t-on utiliser une terme plus valorisant : l’hédonisme. Ce mot à une jolie conation : elle pourrait faire penser à un certain art de vivre issu directement de l’antiquité grecque et de sa philosophie…Pour un peu, il aurait de la sagesse, derrière ce terme…
Ah ! L’hédonisme ! Quel Art de vivre ! Cette disponibilité aux bonnes choses que nous offre la vie, cette capacité à prendre soin de soi, (parfois même au mépris de l’autre), cette porte ouverte au véritable bonheur !...Cette merveilleuse capacité à tourner, pudiquement, le dos à tout ce qui gêne, dérange, peut mettre mal à l’aise, créer des contraintes (quelle horreur !), des devoirs (quelle injure!)…
J’avoue être contre l’hédonisme, car dans notre société, le terme est galvaudé, dévoyé, et se rapproche plus du véritable cynisme, voir même d’une certaine perversité, que d’un véritable art de vivre.
L’hédonisme, c’est la fermeture sur soi et les besoins pulsionnels. Ce qui nous amène à considérer l’Autre comme l’instrument d’accès à un bien-être personnel, qui au fond ne concerne que nous-même. Pas l’autre, ou si accessoirement ! Et quand on considère l’Autre comme un objet, on le déshumanise. C’est le pervers, qui ayant perdu toute la valeur de l’altérité, peut-être parce qu’il ne l’a jamais acquise, instrumentalise l’Autre. En le déshumanisant, il manifeste son manque d’humanité. L’hédonisme, c’est ce qui reste en nous de l’enfant au stade de la toute puissance, celui que nous appelons dans notre jargon, le stade sadique-anal. Tout un programme. Même pour le lecteur non averti, ces deux mots accolés n’entrent pas dans le registre du don et du partage. Grâce à lui nous pouvons faire l’économie du scrupule, de l’éthique, du respect de l’autre. Une seule personne a de l’importance à nos yeux : nous-même.
La recherche du plaisir est une quête en elle-même, qui, pour certains à la valeur du Graal. Tant pis, si elle fait des victimes. J’ai eu, je l’ai eu. Et le problème de l’hédonisme est là : évoluer dans le registre de l’avoir et non de l’être. Parce qu’il est dans ce registre de « l’avoir », il est pure illusion. On n’a jamais rien, ni personne, ou alors, d’une façon si éphémère…Par essence, l’autre échappe à cet « avoir » que l’on voudrait poser sur lui. Quand bien même penserions nous l’avoir soumis totalement à notre désir, à notre volonté, que déjà il nous échappe en esprit, en pensées, en fantasmes, en sentiments.
L’hédonisme est à nous même source de souffrances et de désillusions. La réalité de la vie à vite fait de nous rattraper dans cet espoir de vivre une vie exempte de peines, de contrariétés, de manques en tous genres. Sérieusement, pensions-nous vivre sans connaître le malheur, le doute, le désespoir ? Pourrions-nous apprécier le jour, s’il n’y avait la nuit ? Où serait l’appétence au bonheur, si nous ne connaissons que cela ? Nous en oublierions sa saveur, tellement nous en serions saturés… Il y a des moments de bonheur dans le couple, des moments de plaisir qui sont autant de moments de grâce. Et puis, il a le chagrin, le doute, l’espoir. C’est tout cela une vie humaine. ET c’est bien, cela nous permet d’évoluer, de grandir, d’apprendre, jusqu’à notre dernier souffle. Vivre, c’est être toujours à l’œuvre sur le chantier, avec soi-même et avec les autres.
Derrière cette frénésie du plaisir, du bonheur à tout prix, se tapie une terrible angoisse de mort ou une intolérance à la frustration. L’angoisse de mort est « d’humaine nature » : il nous faudra apprendre à vivre- tout- pour ne plus y être soumis. L’intolérance à la frustration révèle une difficulté à grandir, à devenir adulte. Mais difficulté ne signifie pas impossibilité. Il y a donc, dans tous les cas, une évolution possible, un espoir.
Reste, que cette pseudo philosophie exerce ses ravages sur les couples. L’un ou l’autre, parfois les deux, s’attend à y trouver une sorte de nirvana, d’Eden, dans lesquels plaisirs et satisfactions couleront à flot, d’eux-mêmes, sans même qu’il soit nécessaire de faire des efforts.
Car quand on aime, n’est-ce pas, il n’y pas d’effort à fournir, tout vient naturellement, comme de source... Un couple, ce doit être épanouissant et facile, et cela d’autant plus que la vie est, globalement, difficile. Le couple apparaît donc comme le dernier bastion d’un bonheur possible. S’il se révèle décevant, il vaut mieux fuir.
Et pourtant, des difficultés, même les couples les plus aimants, les plus sincères, les plus authentiques, en rencontrent. Nous entrons tous dans la vie à deux avec amour et désir de réussite. Ou alors, on reste à la porte, on ne la pousse pas, c’est plus raisonnable. Mais, même avec cet amour et ce désir de réussite, nous avons au fond de nous une image « fixe » du couple, une sorte d’instantané. Cette photographie que nous imprimons au plus profond de nous, nous fait croire , penser, que le couple que nous formons aujourd’hui sera éternellement le même. C’est faire fie du temps qui passe et laisse son empreinte, sa patine, sur toute chose. Votre couple s’est « patiné », à l’image des objets qui vous entourent, de votre corps, de votre visage… Et c’est peut-être cela qui lui confère encore plus de beauté, suscite, éveille, encore plus d’émotion.
« Bien sûr, nous eûmes des orages », chantait Jacques Brel, et il n’y pas de couple sans tempêtes. Elles sont souvent si nécessaires ! La raison de ces turbulence est de bon sens : un couple est formé par deux personnes qui, certes, ont choisi de vivre ensemble, de souder leur destin, mais qui sont nécessairement différentes. Elles ont donc des besoins, des désirs qui leur sont personnels. Parfois, pour les faire entendre, reconnaître, prendre en compte, il faut provoquer l’autre, le réveiller. Rien de tel qu’un avis de coup de vent ! Si elles ont pour objectif le couple et sa réussite, elles feront cap sur l’écoute, la conciliation, la négociation. Elles tireront les bords nécessaires, unies dans un même effort, en harmonie, en additionnant leur force et leurs capacités. Les moments difficiles seront surmontés grâce à cette coopération, cet esprit d’équipe. S’il arrive que la voile « fa celle », le plus vigilant, au moment, la bordera davantage, spontanément.
Il arrive que l’évolution personnelle déstabilise le couple : si l’on se sent concerné par son devenir, il sera possible de procéder à des réajustements, opérer de « mini réglages ». Rien ne sert d’opter pour un cap qui n’aurait pas été décidé librement, par le couple.
Vous le sentez, je pense, à travers cette coopération il y a une attitude du cœur et de l’esprit qui consiste à prendre, réciproquement, soin de l’autre, à respecter « qui » il est, « qui » il peut devenir. Entendre le désir de l’Autre, c’est lui donner vie dans le couple, c’est aussi le valoriser sur le plan personnel. A terme, c’est également se « bonifier » soi-même avec le temps, comme le bon vin. On y gagne en rondeur, en robe et en saveur. Soyons serein, nous n’avons rien à perdre, dès lors que l’évolution de l’Autre se fait dans le respect de ce que nous déterminons comme étant essentiel pour ce couple là que nous vivons, et qui ne ressemble à aucun autre.
Le temps ne fait son œuvre destructrice que sur ce qui est fragile, poreux, mal étayé, mal agencé. Sur ce qui manque de densité. Et, dans le couple, pour de multiples raisons que nous verrons, ce qui fait la densité du couple, sa solidité, ce n’est pas l’amour investi au départ, mais la volonté.
Ainsi que disait le philosophe Alain : « Aimer, c’est vouloir. »
Mais vouloir quoi ? Vouloir des choses simples. Vouloir du bien à l’autre, vouloir lui donner une plage sur laquelle il peut être lui-même sans risque, se dévoiler- un peu, pas trop, cela nuirait à l’amour même... Vouloir faire un bout de chemin, parfois, quelle chance ! Tout le chemin de notre vie, partager le meilleur, donc donner d’abord, sans tenir de livre de comptabilité. Et puis, soutenir, aider l’Autre, lui permettre de grandir, d’évoluer, de développer tout son potentiel. Vouloir lui laisser sa marge d’autonomie, afin qu’il puisse continuer à exister en tant que personne dans le couple. Nous serions le premier perdant si nous ne faisions pas cela, car nous priverions notre couple de sa substance même, de ce qu’il fait qu’il est vivant. C’est décider de le respecter ; d’accepter donc une certaine distance, un certain « no man land », auquel nous n’aurons pas accès. Ne pas l’étouffer.
Tout comme une plante pour grandir et devenir un jour un arbre, ne doit pas être étouffée, le couple, votre couple, a besoin de cet espace. Tout comme une plante, il grandira, donnera des branches, des fleurs, et peut-être des fruits, si nous lui accordons tout le soin dont il a besoin. Il faut donc l’arroser d’actes positifs, de dialogues, de petites attentions qui viennent plus du cœur, de la générosité que du froid calcul cortical. A nous, de développer l’art du bon jardinier en veillant à la qualité du terreau, de l’environnement, de l’exposition. Je vous le dis, ça prend toute une vie ! On ne cesse d’apprendre, donc d’être vivant...
Tout comme l’arbre, votre couple va vivre plusieurs saisons, toutes différentes et spécifiques. A chaque saison les besoins vont évoluer : le printemps de votre vie de couple se vit souvent dans l’éblouissement de l’éclatement des bourgeons, de l’éclosion des fleurs, des promesses de fruits. L’été donne ses fruits, et comme tel occupe beaucoup : parfois, on éprouve le sentiment que l’on passe plus de temps à s’occuper des fruits que de l’arbre lui-même. L’automne, les fruits à maturité sont récoltés, et l’arbre, dans ses dernières splendeurs, avec un peu de nostalgie, un peu de peur, se prépare à entrer dans l’hiver.
L’hiver lui sera doux, si il a été bien soigné, bien traité.
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