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L’ARITHMÉTIQUE DU COUPLE

Peut-on prédire les chances de succès de son couple à partir du premier contact, ou dès les premiers mois de vie commune ? Pas de façon certaine, mais dans les grandes lignes, oui. Et les observations statistiques sur les couples réels peuvent aider à repérer les signes inquiétants et à y remédier.





Mariés pour la vie, pensions-nous ce jour-là ! Hélas, cinq ans après, cette relation si extraordinaire vient de se terminer dans le bureau du juge. Comment en sommes-nous arrivés là, après tout ce que nous avons vécu au début de notre relation ?

Aujourd'hui, en France, près de 47 pour cent des couples mariés divorcent. À l'issue de cinq années de mariage, 13 pour cent des couples ont divorcé, ils sont 23 pour cent après dix ans et 30 pour cent après 15 ans de vie commune. Les travaux du psychologue John Gottman, de l'Université de Washington, montrent d'ailleurs que les causes de la séparation varient selon la durée de la relation. Les séparations entre cinq et sept ans de vie commune proviennent de graves conflits vécus dans le couple (par exemple infidélité, colères répétées…), tandis que les séparations survenant au bout de 10 à 12 années de vie commune proviennent d'une baisse de l'intimité et des interactions au sein du couple. Pourtant, à voir le bonheur affiché par les 270 000 couples qui se marient chaque année, en France, on pourrait penser que l'amour est réellement éternel. Hélas, la réalité est tout autre et le bonheur semble ne réussir qu'à la moitié des couples.





Qu'est-ce qui explique ces échecs ? De nombreux facteurs démographiques, géographiques et psychologiques interviennent dans la séparation des couples. La vie trépidante des villes semble être un obstacle à la longévité des couples puisqu'il y a, en ville, 50 pour cent de divorces supplémentaires par rapport aux couples qui vivent à la campagne.


Des statistiques qui font réfléchir…


Pour expliquer cela, les chercheurs invoquent le stress et également la surcharge de travail des femmes qui doivent trouver des solutions pour allier vie professionnelle, vie personnelle, et éducation des enfants. En outre, les grandes agglomérations favorisent la probabilité de rencontrer d'autres personnes, ce qui est également un facteur prédisposant à la rupture. Les travaux de J. Gottman montrent qu'avec l'explosion du travail des femmes dans les années 1970, les infidélités féminines, notamment dans les villes, ont augmenté. Si ces facteurs sont réels, pour d'autres chercheurs, les causes de la rupture sont à chercher dans des éléments de personnalité et de gestion des relations au sein du couple. Les vicissitudes de la vie, telles celles que nous venons d'évoquer, transforment bel bien la relation du couple, mais les travaux de recherche sur ce sujet montrent toutefois qu'il suffit de peu de temps au début d'une relation pour repérer et prédire des dysfonctionnements dans un mariage. Ces études révèlent également le rôle de certaines composantes de la personnalité, et du degré de similitude entre les partenaires.


Selon l'adage, « Qui se ressemble s'assemble », voire qui « s'assemble durablement ». Un bon équilibre du niveau de beauté physique semble être une condition nécessaire. Pour Leil Lowndes, consultante et coach matrimoniale à New York, qui a observé les comportements de couples dans des bars et des soirées, les couples dont les membres ont des caractéristiques physiques similaires se montrent démonstratifs et câlins dans 60 pour cent des cas, alors qu'ils ne sont plus que 46 pour cent lorsque l'assortiment est moins net et seulement 22 pour cent lorsqu'ils sont peu assortis physiquement. Or Patrick Bentler et Michaël Newcomb, de l'Université de Californie à Los Angeles, ont mis en évidence, dans une étude de suivi de couples quatre ans après le mariage, que la dissociation physique (l'un des membres est nettement plus (ou moins) beau que l'autre) est un prédicteur de divorce ou de séparation, notamment lorsque c'est la femme qui est moins belle.


Toutefois, l'appariement n'est pas toujours obligatoire et la satisfaction du couple peut être importante si un homme est peu attrayant physiquement, mais qu'il est socialement dominant (réussite professionnelle, argent, notoriété…), alors que sa conjointe est très attrayante physiquement, mais sans cette dominance sociale. En fait, pour les chercheurs, il faut mieux que les caractéristiques physiques soient équilibrées, mais lorsqu'une dissymétrie existe, il faut qu'une autre caractéristique (personnalité, statut…) compense le déséquilibre. Outre la convergence de l'apparence physique, ces psychologues ont mis en évidence que la convergence de l'âge, ainsi que des intérêts culturel et artistique entre les conjoints, est importante. En revanche, d'autres facteurs comme la sédentarité ou le goût des voyages ou encore le niveau d'engagement religieux ne sont pas décisifs.





En ce qui concerne les facteurs de personnalité, ces chercheurs ont observé que, chez les femmes, les scores de « sympathie auto-évaluée » (« Les gens aiment bien me parler », « J'ai la réputation d'être quelqu'un de sympathique », « On m'invite souvent à des fêtes »,etc.) ont un caractère prédictif : plus une femme se décrit comme agréable socialement, plus on constate que son couple est solide. Il en va de même du « niveau de conscience de l'apparence vestimentaire » : les femmes qui déclarent attacher de l'importance à leur tenue vestimentaire ont moins de risques de divorcer. Ce n'est pas le cas pour les hommes. Chez eux, deux facteurs sur les 28 qui ont été évalués semblent être prédictifs du maintien d'une relation durable. Les hommes introvertis et qui s'estiment plus vulnérables restent plus longtemps mariés. Selon les psychologues américains, la présence, chez l'homme, de quelques caractéristiques plus traditionnellement féminines serait prédictive de stabilité. En effet, les caractéristiques très masculines – telles l'extraversion et les attitudes dominatrices – seraient recherchées par les femmes qui voudraient séduire ceux qui en sont dotés, ce qui augmenterait le risque d'infidélité. Or l'infidélité représente l'une des principales causes, notamment au début de la vie commune, invoquées par la femme lors d'une demande de divorce (dans trois cas sur quatre en France).


D'autres facteurs de la personnalité des époux semblent également intervenir dans la stabilité du couple. Les psychologues John Constantine et Stephen Bahr, de l'Université de l'Illinois à Chicago, ont ainsi montré l'importance, chez des hommes, d'un facteur de personnalité nommé la norme d'externalité (en anglais, Locus of control). La norme d'externalité caractérise la tendance d'un individu à expliquer ce qui lui arrive par des facteurs extérieurs (éducation, origine sociale, malveillance d'autrui, manque de chance) ou par des facteurs internes (ses goûts personnels, ses choix, ses défauts, son manque de concentration, etc.).


Quand on recourt aux explications environnementales et extérieures à soi, on présente une forte norme d'externalité (ou faible norme d'internalité), et lorsqu'on invoque des raisons internes et personnelles, inhérentes à soi, on présente une forte norme d'internalité (ou faible norme d'externalité). Dans une étude menée sur six ans et réalisée auprès de 3 500 hommes, J. Constantine et S. Bahr ont montré que les hommes ayant la plus forte norme d'externalité ont statistiquement plus de risques de divorcer au bout de six ans. Pour les psychologues, une forte norme d'internalité favoriserait la capacité des hommes à se responsabiliser lorsqu'un problème se présente au sein du couple. En outre, une telle orientation psychologique aurait pour résultat que ces personnes favoriseraient le dialogue et l'interaction dans la vie quotidienne et dans la gestion des conflits.


Passé familial et testostérone


En outre, les hommes présentant ce profil seraient plus prompts à régir aux signaux de dysfonctionnement émis par leur compagne. Et l'on sait que les femmes décident moins que les hommes de mettre un terme à une relation sur un coup de tête ; elles émettent souvent des signaux d'avertissement ou des signes avant-coureurs à leur compagnon, pour les inviter au dialogue et à l'échange quand se présente une difficulté.

D'autres études ont révélé que certains événements liés au passé familial jouent un rôle dans la réussite du mariage. Les psychologues Lowell Kelly, de l'Université du Michigan, et James Conley, de l'Université de Wesleyan, ont ainsi montré, lors d'un suivi de couples sur 35 ans, que les femmes ayant connu peu de conflits et de dysfonctionnements avec leurs parents durant l'enfance ont moins de risques que les autres de divorcer. Chez les hommes, ce facteur n'aurait pas d'impact. Toutefois, les chercheurs ont découvert dans cette étude que les hommes les plus conventionnels (adhérant à des valeurs de stabilité et de tradition) ont également le moins de risques de divorcer, les plus excentriques et les plus impulsifs présentant plus de risques de rompre une relation maritale.


Si vous n'êtes pas psychologue, mais plutôt biologiste, vous pouvez aussi mesurer la concentration de testostérone de votre compagnon. Dans une vaste étude impliquant 4 000 hommes, les psychologues Alan Booth, de l'Université de Pennsylvanie, et James Dabbs, de l'Université de Géorgie, ont montré que les hommes ayant de fortes quantités de testostérone ont moins de probabilités que les autres de se marier, et plus de risques de divorcer. En outre, ceux qui se marient malgré tout ne sont pas de bons partis : ils sont plus infidèles, violents, humiliants et hostiles au dialogue et refusent de négocier en cas de problème. Ces défauts sont précisément les principales causes de demandes de divorce faites par les femmes.





Les femmes évitent-elles ce genre d'hommes ? Pas toujours : ces hommes sont – nous l'avons évoqué – également ceux qui plaisent aux femmes. C'est le paradoxe du mauvais garçon : séduisant à court terme, mais peu fiable à long terme.


Des signes initiaux prédisent la réussite du mariage


Si l'acte civil qui consacre le mariage prend peu de temps, les recherches tendent également à montrer qu'il ne faut guère plus de temps pour prédire la réussite ou l'échec d'un mariage. C'est ce qu'ont mis en évidence les psychologues Sybil Carrère et John Gottman, de l'Université de Washington : ils ont demandé à des couples récemment mariés de discuter d'un problème, qui avait été une source de désagrément depuis qu'ils étaient mariés. Bien entendu, ces sources de désagrément n'étaient pas des crises de grande ampleur, mais de petits points de friction liés à la vie quotidienne qui avaient suscité des discussions, des prises de position et des décisions qui n'avaient pas toujours satisfait les deux parties (choix d'une destination de vacances qui n'était pas partagée, invitation par un des deux conjoints d'une personne que l'autre n'avait pas envie de recevoir).


Les chercheurs ont donc demandé à ces couples d'évoquer, à nouveau, cette situation et d'en discuter. Les protagonistes étaient filmés et l'interaction était évaluée par des psychologues qui étudiaient certains éléments clés tels que les expressions du visage (froncements de sourcils, sourires…), les émotions (air choqué, peiné…) et le contenu du discours, afin d'identifier les émotions positives ou négatives et leur importance. Les chercheurs ont ensuite conservé leurs notes et laissé plusieurs années s'écouler. Les couples ont ultérieurement été recontactés afin de savoir quels étaient ceux qui avaient divorcé. Les résultats ont montré que les informations obtenues pendant les trois premières minutes d'une discussion entre un homme et une femme mariés depuis peu permettent de prévoir de façon fiable la probabilité qu'ils divorcent des années plus tard.


En effet, tout semble se jouer dans la façon dont la difficulté évoquée est discutée. On constate que les hommes et les femmes ne procèdent pas de la même manière. En règle générale, la façon dont la femme expose le problème serait déterminante. Par exemple, utiliser le pronom « il » pour parler du conjoint est un mauvais prédicteur (« Il a fait la tête dès que je lui ai parlé de la destination de vacances que je désirais »). Au contraire, le « nous » est un élément plus encourageant (« Nous n'avions pas les mêmes préférences en termes de destinations »). Ce « nous » sera d'ailleurs d'autant plus encourageant que la femme touche l'homme, et que l'homme y réagit en regardant la main qui se pose, sourit et regarde sa compagne.


D'ailleurs, les psychologues notent que l'homme ne réagit pas de la même façon au « il » et au « nous » et, l'issue à long terme dépendra de son expression qui peut être négative (il hoche la tête avec un rictus d'incompréhension) ou positive (il affiche un sourire franc traduisant une intégration du souvenir avec humour).


D'autres comportements langagiers permettent aussi de prédire une issue positive ou négative de la relation à long terme. Par exemple, chez un homme, le fait de revenir sur l'amorce est un mauvais prédicteur (« J'aimerais qu'on reparle de ce qui a été dit au début sur la destination de vacances cette année-là… »). Chez les femmes, un mauvais prédicteur consiste à énumérer d'autres faits identiques (« C'est comme la fois où nous sommes allés en week-end à la campagne, et où il... »).


Si de tels éléments laissent entrevoir des conflits, ils peuvent aussi être pris comme des avertisseurs, permettant de corriger la situation. J. Gottman montre ainsi que l'on peut aider les couples à parvenir à des échanges plus harmonieux par le biais d'exercices consistant à revenir sur le point conflictuel et à proposer aux conjoints de le gérer différemment. De tels exercices ont un impact positif sur la façon dont l'homme et la femme aborderont des conflits ultérieurs. Il peut aussi être utile de recourir à certaines techniques de relaxation : toujours selon J. Gottman, certaines réactions physiologiques (augmentation de la pression artérielle, du rythme cardiaque…) conduisent à percevoir le propos de l'autre comme plus négatif qu'il n'est vraiment, et à rechercher des solutions plus conflictuelles. En apprenant à gérer ces réactions, on améliorerait son contrôle de soi et on éviterait les propos blessants pour le partenaire.





Bien entendu, on ne peut pas éviter totalement les conflits et les propos inappropriés dans un couple, mais l'idéal serait, selon J. Gottman, qu'un couple ait 20 interactions verbales positives pour une négative. Avec un rapport de seulement cinq interactions positives pour une négative, les chances de survie d'un couple si conflictuel sont faibles... À vos calculettes, donc, en attendant le maire.





NICOLAS GUÉGUEN|  30 novembre 1999|  CERVEAU & PSYCHO N° 31

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